Les stages constituent une porte d’entrée vers la scène, ouverte à tout le monde.
Ils ne prétendent à rien de plus.
Ils ne sont ni une promesse d’embauche sur des projets à venir, ni une forme d’audition déguisée comme il est fréquent d’en voir proposée. Le travail ne se situe pas dans ces sphères de la professionnalisation du théâtre ou autre. En tous cas, pas de cette façon là.
Ils incarnent potentiellement en revanche, à chaque session sous une forme différente, des clefs qu’il est possible de réunir en un trousseau personnalisé selon sa composition, la fréquence de sa pratique et l’usage que l’on désire en faire. Mieux que des clefs se sont des passepartouts, configurables à souhaits par imbrication, superposition, enchaînement …
Ils ouvrent à l’utilisation possible de sa poésie propre. Ce sont des passe-droits ; les autorisations qui manquent parfois dans son éducation et que l’on n’a pas trouvé moyen de se donner tout seul pour légitimer son envie. Il n’y a pas à éprouver de honte à cela, car il est dur, en effet ; extrêmement dur même dans notre société, de trouver la place, l’énergie et le canal d’une expression individuelle et singulière, hors les sentiers battus par d’autres et qui ne nous concernent pas toujours au premier chef.
Chacun, et un artiste plus que quiconque, travaille exclusivement à son développement propre en matière de création. Il est certainement nécessaire qu’il en soit ainsi pour que l’inventivité trouve son caractère authentique. Cela ne justifie pas pour autant à mon sens, l’imbuvable folie de quelques artistes à se croire indispensables à la marche du monde, ni la place que le dit monde se croit, une ou deux fois par décennie, obligé de faire à quelques symboles pour rattraper l’inaccessibilité aux richesses qu’il entretient vis à vis de la majorité de ces mêmes artistes le reste du temps. Ils ne sont évidemment pas les seuls à se voir mis au banc d’un mouvement économique global, mais c’est là relativement un autre sujet.
Les passages et conduits qui mènent à une expression personnelle existent déjà en chacun/e. Ils sont préexistant à la conscience même. Tout être humain se donne en spectacle. Il ne peut rien faire d’autre pour communiquer et surtout, il ne sait pas faire autrement. De cet état de fait découle beaucoup de malentendus de la vie courante, affective et professionnelle.
Qui joue quoi, à quoi, dans quel but ? Difficile à déterminer.
C’est lorsque l’on se croit sincère que l’on est souvent le plus naïf vis à vis de soi, voire le plus bêtement présomptueux et à côté de la situation qui se présente. Ainsi la multitude des comportements inconscients d’eux-mêmes fait le talent inventif du genre humain autant que sa prétention insupportable et, à grande échelle, souvent catastrophique dans ses conséquences.
Pourquoi donc se préoccuper, au milieu des dizaines d’astreintes que la vie déjà nous imposent, de tenter de donner libre cours à sa pensée poétique, aux actes artistiques qui en découlent ?
Essentiellement pour répondre à deux appétits secondaires de la vie et peut-être justement de ce fait, indispensables à nous caractériser en tant qu’être pensants :
En d’autres termes, élargir son champ de vision sur sa propre existence et l’environnement dans lequel elle se développe ; rendre plus mobile l’orientation de son regard sur les êtres, les situations et les choses.
Découlant naturellement de ce premier point :
- Contribuer à modifier et peut-être améliorer, même infinitésimalement, outre sa propre qualité de réflexion et de sensibilité, la nature de ce vaste monde qui ne va, ne nous leurrons-pas, que dans le sens où ses habitants le mènent.
Il existe un troisième et fondamental avantage à vouloir plonger dans ce mystère poétique qui caractérise notre étrange espèce, située au stade actuel de notre évolution, rappelons-le, à mi-chemin entre animalité primitive et digression philosophique la plus raffinée :
Il s’agit du goût paradoxal de la complexité.
Oui, nous aimons nous compliquer la vie au sens premier de cette expression.
Nous éprouvons un plaisir à ne pas nous en tenir là où l’équilibre pourrait satisfaire sa loi.
C’est là que réside le siège de tous les progrès.
Cette jouissance intellectuelle, sous ce vocable justement d’ailleurs péjorativement employé, d’intellectuel, est volontiers dénigrée par les êtres volontairement frustes. On peut d’ailleurs aisément comprendre et admettre à travers cette autoprotection revendiquée, la crainte de s’emmêler les pinceaux et souffrir inutilement en se sentant menacé de noyade dans une vie déjà brouillonne et difficilement gérable.
Là où cette prise de parti s’avère trop courte, c’est à l’endroit où elle se targue de vouloir ignorer tout du plaisir particulier qu’il y a pour l’être humain à réfléchir sa condition et au-delà, celle de ses semblables et la nature animale dont nous n’avons de cesse de vouloir nous extraire.
Pourtant, tout n’est pas que désolation à se heurter à la limite de ses possibilités. C’est même le contraire, si l’on ne se contente pas de faire de ce constat une plainte malheureuse et centrée sur elle seule.
La colère est un sentiment dévastateur mais actif, générateur de changements et qui a le mérite d’encourager l’affirmation de soi.
La plainte, le larmoiement, la complaisance râleuse, la revendication qui se contente de s’exprimer sourdement, constituent un panel de solutions de replis sur soi sans aucun autre effet positif que d’entretenir son immobilisme. Le soliloque anxieux, grognon ou désespéré a l’unique vertu d’assurer que rien ne change pour soi et de conforter la mauvaise foi qui ne veut pas reconnaître une carence en audace.
Il faut pourtant une infime dose de courage pour s’avancer d’un pas, en pensant tout haut : « Je suis ».
Rien à voir avec celui qu’il doit falloir pour, contraint et forcé, aller au combat défendre son pré carré. Le courage d’être artiste est un courage médiocre, à la portée de tous. Ce n’est pas là que réside sa valeur, donc autant ne pas faire de son expression une entrave à lui donner l’occasion de naître, car c’est ensuite seulement que le travail commence.
Une fois franchi le seuil, il ne s’agit pas de courage, mais de dé-tricotage de ses apriori, croyances, fantasmes et autres chimères sur ce que peut être la qualité d’une proposition artistique qu’il va falloir entreprendre pour ne pas se contenter d’être un simple faiseur ; ce qui dans ce cas, reviendrait à d’être sorti d’une ornière pour tomber dans le puit d’un obscurantisme marchand bien plus obscur.
La masse de remises en cause et de questionnements peut être considérable selon l’endroit d’où l’on est parti. Il faut dès lors être ouvert/e à se découvrir autre que ce que l’on imaginait jusqu’alors. Nettoyer la vitre du miroir, voilà le travail et il s’agit qu’elle soit bien propre. Un petit coup de chiffon ne suffit pas. Limpide et lucide, c’est sous cet aspect que doit se rénover le regard. Artefacts culturels et moraux sont grattés et supprimés sans rien rayer de la couche principale. Sous la glace, un tain impeccablement restauré attend d’être vu, lu, sondé, décrypté. Cette image là contient toutes les autres ; celles à venir en particulier, qui seront propres à guider l’auteur/e vers ce à quoi il/elle veut tendre. Car ce choix existe. Aucune œuvre n’est déterminée d’emblée par les seules aptitudes de qui va la produire. Tout est permis.
Composer, se projeter, inventer de toutes pièces sont les outils de la mise en scène. Il serait atrocement réducteur et dangereusement susceptible de nous faire entrer à nouveau en religion, que d’invoquer une sincérité tout droit sortie de la pire des culpabilités, comme devant préexister à l’œuvre ou au geste. À ce stade, nous ne devons plus rien à personne et c’est bien tout l’intérêt de la démarche : s’octroyer un gigantesque univers de liberté à partir d’un minuscule et étroit corridor. Tout commence donc par regarder ailleurs que là où on est censé devoir le faire.
Sous les jupes, dans les pantalons : cela commence à s’avérer plus facile qu’il y a quelques années encore. Mais le bouclier phénoménal du monde social désamorçant toute agression ou faille de son système en effet de mode, il est nécessaire de sans cesse tout recommencer depuis la source pour conserver son indépendance de pensée et une véritable latitude de comportement.
Ainsi, contre les vents, les marées et les déceptions quasi rituelles et permanentes, l’artiste créateur se doit d’être un Sisyphe joyeux, car toute sa force réside dans une inaltérable obstination à recommencer de rien ce qui risque de le mener nulle part.
Entre les deux, le voyage est fantastique et à nul autre comparable sur le plan intime du sentiment de soi.
Sisyphe sur Wikipédia
Sisyphe est surtout connu pour avoir déjoué Thanatos. En échange d'une source qui ne tarissait jamais, Sisyphe révéla au dieu-fleuve Asopos où se trouvait sa fille Égine, enlevée par Zeus, qui avait pris la forme d'un aigle, et qui la désirait. Asopos fit fuir Zeus, mais ce dernier ressentit de la rancune pour Sisyphe ; il lui envoya Thanatos pour le punir. Cependant, lorsque le génie de la Mort vint le chercher, Sisyphe lui proposa de lui montrer l'une de ses inventions : des menottes. Il enchaîna Thanatos, si bien que ce dernier ne put l'emporter aux Enfers. S'apercevant que plus personne ne mourait, Zeus envoya Hadès délivrer Thanatos. Mais Sisyphe avait préalablement convaincu sa femme de ne pas lui faire de funérailles adéquates. Il put ainsi convaincre Hadès de le laisser repartir chez les vivants pour régler ce problème. Une fois revenu à Corinthe, il refusa de retourner parmi les morts. Thanatos (ou même Hermès, selon certaines traditions) dut alors venir le chercher de force. Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné, dans le Tartare, à faire rouler éternellement jusqu'en haut d'une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet, tel que raconté dans l’Odyssée (chant XI). Toutefois, Homère ne faisait pas mention de la raison de ce châtiment. Certaines traditions le justifient par la réputation de brigand et de malfaiteur que Sisyphe avait acquise de son vivant.
Lien sur idixa.net
« Il faut imaginer Sisyphe heureux »